Lire Verdiglione n. 23 “L’ombre en face”

Encore « La ballade du cannibale », le passage qui introduit la plus spécifique « Ballade de l’homme cannibalis », sur laquelle (p. 81) nous avons écrit quelque annotation.

« Le cannibalisme croit avoir fait un pacte avec Prométhée : la chair doit être choisie, cuite, elle doit être reconnue exquise, pour qu’elle puisse se faire verbe, pour qu’elle puisse produire de l’animation et la métamorphose en androgyne ».

Il y a ici une densité de questions avec Prométhée, qui demande un laboratoire constant. Dans la narration clinique de Verdiglione, Prométhée poursuive sa vie, avec le cannibalisme qui surgit sous la plume de Christophe Colomb, après presque deux mille années. Dans le mythe, Prométhée est puni par Zeus d'un châtiment particulièrement cruel : être enchaîné à un rocher et subir le supplice éternel d'un aigle se nourrissant de son foie, qui se régénère chaque jour. Ce châtiment éternel est infligé par Zeus pour le punir d'avoir volé le feu et de l'avoir donné aux hommes. Curieux comme le géant humanitaire (très humain) soit condamné à l’autophagie : l’aigle c’est l’animal dans l’homme, comme le crabe qui habite l’homme et que nous appelons « cancer ».

 

Les maladies sont-elles de formes d’autophagies ?

Le cannibalisme qui « croit » avoir fait un pacte avec Prométhée c’est le cannibalisme cérémonial, c’est le rituel exécutif comme reproduction économique du repas primordial duquel parle Freud dans Totem et tabou (1912-13). C’est un précepte ce repas, il n’est pas un fait réel : c’est une idée de l’avenir, l’idée qu’escompte et prévoit Prométhée. Avant encore l’amphibologie Prométhée-Épiméthée, c’est question de l’amphibologie Prométhée-aigle. Pourquoi l’aigle ? Pour la folle précision de sa vue. Le point de vue, hormis le regard, est le point de mort, le point hypostatique, le point fixe : le fin repas de Pierre Legendre.

Essayons : Prométhée-aigle c’est la guerre interne, Prométhée-Épiméthée c’est la guerre externe.

 

Prométhée est un Titan altruiste ? Est-il ami de l'humanité et du progrès ? Y-a-t-il aussi un pacte entre Auguste Comte et Prométhée ? Le Titan du progrès est-il aussi Titan de l’évolution, et pourquoi pas de la révolution française ? Reste que l’humanité est dans la fonction de mort, mise à part la vie. Le coup d’état que l’opinion commune appelle « révolution » c’est aujourd’hui le coup d’état mondiale, celui des oligarchies hiérarchiques qui ont effacé et annulé la verticalité du totem et misent tout sur le tabou de la vie. D’où l’assassinat mondiale de l’innocence de la vie, toujours raté, aussi parce que la citoyenneté n’a pas de lieu. 

Prométhée vole le feu aux dieux pour le donner aux hommes. Selon Lévi-Strauss il donnerait la culture aux hommes, que pour lui vient par le passage du cru au cuit.

Nous sommes ici avec l’élaboration d’Armando Verdiglione autour du feu-follet. C’est le feu qu’aucun homme peut porter. Par ce feu : il n’y a plus de comportement. C’est l’objet qui dissipe l’imagination et la croyance dans le sujet. Une énormité insupportable pour l’idéologie et sa province mondiale.

Dans le témoignage des cannibales, et donc aussi dans le cas d’Issei Sagawa, émerge comme la chair humaine cuite soit exquise. Dans la narration de Verdiglione c’est acquit que cela va parce que s’obtient que la chair puisse se faire verbe. Le cadavre est excellent, non seulement dans les desseins de surréalistes. Quelle arnaque si ce n'était pas le cas. Ce qu’est plus important réside dans le mythe inverse de l’annonciation : ce n’est pas le Verbe qui se fait chair, c’est la chair qui se fait verbe. C’est la convertibilité entre la vie et la mort. C’est le refrain de toutes les mythologies, de toutes les doctrines ésotériques et exotériques.

Ce n'est pas la parole « se faire verbe ». C'est verbaliser. C'est le discours comme cause. C'est la langue d'esprit, c'est la langue sociale. Se faire verbe, c'est rendre la langue « unilingue ».

 

La chair du cannibalisme produise l’animation : ça semblerait d’être au Club Med, que « justement » a été créé comme l’inverse des champs de mort, par Trigano, après la Shoah. La vie niée se double dans la vie substantielle et mentale, entre le pénal et le pénitentiaire. Et aussi : pénal le vol du feu divin et pénitentiaire le supplice éternel d'un aigle se nourrissant du foie de Prométhée.

Pour les hommes c’est la psychopathologie et la psychocriminologie de la vie quotidienne. La vie comme condamne et comme colonie pénale dans la narration de Franz Kafka.

 

L’animation c’est de l’homme animal, mise à jour de l’animal rational o politique. C’est l’animal dans l’homme qui lui dicte sa volonté, comme l’enfant pervers imaginé par Louis Althusser. Ses figures sont infinies et potentielles. Il y a aussi l’engrange de certaines littératures et l’automatisme de certaines psycho-littératures, comme dans le cas de l’automatisme psychique de Jean Piaget et de l’automatisme mental de Gaëtan de Clérambault.

 

Tout homme serait gouverné par un homunculus qui est un concentré de la volonté générale. Chapeau les maîtres du monde et du rien !

Prométhée subit le châtiment de Zeus, qui l'enchaîne à une falaise au bord du monde, puis le plonge dans le Tartare. Et la survie du monde est aujourd’hui réduite à son bord et à ses bordels. Et subjacent au monde : le néant, la prison abyssale, katachthònia. L’enfer hypostatique.

De la guerre entre Zeus et les Titans reste aujourd’hui sa reproduction économique dans la guerre entre l’Unique et ses copies, les oligarques.

 

Un pacte ? Un pacte avec Prométhée c'est à la place du deux, de l’ouverture, de la question intellectuelle. Ce pacte c'est une complicité aiguë. Et c'est un pacte cannibale qui est imaginé et cru. Il est cru par les cannibales. Donc, il y a celui qui dicte le cannibalisme et il y a celui qui l’exécute, le cannibale. Le cannibale, c'est l'animal de cérémonie, visé par Nietzsche. C'est l'exécutant d'un précepte qu’il n’a pas dicté. C'est l'engrenage impitoyable de Sagawa. C'est ça.

 

C'est parce qu'il est dicté par soi dans le sens d'un sujet, comme d'une idée de l’avenir, où il y a une idée de l'Autre que se déclenche la dévoration de l'Autre et la dévoration de soi. Alors, c'est quoi qui déclenche la dévoration ? L'idée de ce qu'on mange ? C'est ça, c'est Sagawa, avec son fantasme maternel. Il a l'idée de manger une femme. Une femme qui a les attributs de la mère. Est-ce qu'il aurait dévoré sa mère s'il avait toute outrecuidance ? Peut-être.

 

Mais voilà, ici on a quelque chose à analyser. Le cannibalisme, la croyance, le pacte avec Prométhée. La peine de l'outrecuidance de Prométhée est d'être dévorée par l’aigle, l’animal télescope. L’aigle ou les aigles ? Peut-être qu'il a le pluriel à jouer là. Pourquoi j'ai cette idée du pluriel ? La meute. L’homo cannibalis est bâti par le principe d’égal. « Tous » les hommes seraient une gigantesque meute, avec au minimum deux classes : les dévorateurs et le dévorés, dans leur convertibilité dans l’alternance et dans l’alternative.

Ce sont des pactes clairs et distinctes. « La chair doit être choisie, cuite », on ne peut pas la manger crue. Pourquoi ? Pour nier la recrudescence et pour nier la « crudescence », pour nier le cru et se forger une belle âme, pour polisser l'acte effroyable, pour le rendre social, spirituel, clos, même aux lèvres cousues, ce qui est l’étymon de mystique.

 

Tout chacun (chaque « un ») pourrait s'identifier à Issei Sagawa, afin que puisse se produire de l'animation et aussi la métamorphose en androgyne. C'est quoi la métamorphose en androgyne ? C’est le un divisé en deux. C'est une constatation de plusieurs années : c'est l'homo duplex, et déjà en train de se spiritualiser, de fondre en homo triplex, ou fœmina triplex, aussi selon la fluidité de genres, parmi les dernières ordures inintellectuelles, avec leurs cacophagies.

C'est aussi le fantasme de la duplicité, au point de la trouver aussi comme « double duplicité ». Elle vient d'un économiste épaulé par un mathématicien. Et ça rejoint le carré logique, non sans parangons phalliques et confrontations spectrales.

La double duplicité, c'est un quatre, spirituel. Elle est quaternaire : elle est un produit de l’animation. Produire l'animation, c'est quoi l'animation ? C'est l’action du cogito. La cogitation. Agiter, c’est l'agitation même, et ici c’est l’agir de l’âme, à l’ombre de Dieu, mi-idole mi-spectre.

 

Le cannibalisme, c'est le cérémonial de la métamorphose en androgyne. L'homme mange la femme, la femme mange l'homme. Une famille mange l’autre famille (c’est la fitna). Une tribu mange l'autre tribu (c’est le jihad).

 

Cannibalisme de soi ? Cannibalisme de l’Autre ? Ce sont les dents de l’autocritique. C’est l’autophagie qui a son comble dans la dévoration de l’Autre : « Je mange le cerveau de Satan ». Pas de nourriture intellectuelle. C'est-à-dire qu'il y a la dévoration de tous les mots. La vie serait survie : l’avalée des avalés.

 

Le cannibalisme ayant la chair et le sang dans l’ombre en face, encerclé entre le parangon phallophorique et la confrontation spectrale, s’habitue à singer la vie.

 

Reste que la vie ne s’habitue point au discours de la mort. Et où la parole s’instaure : il n’y a plus de cannibalisme.

 

Or, nous lisons plusieurs ouvrages autour du cannibalisme, aussi de Gabrielle Robin à Peter Singer : nous n'avons pas trouvé, nous ne trouvons pas et nous ne trouverons jamais un message comme celui d'Armando Verdiglione parmi les trompettes qui occupent l'espace de la province, parmi les restes et les reliques du léninisme, du marxisme, du junghisme, du freudisme, du lacanisme. Les personnages en cherche d’auteur sont tous dans la tribune du parti de l'esprit « glocal », c'est-à-dire global et local. Les lumières du spectacle sont l’ombre en face.

Avanti
Avanti

Lire Verdiglione