Lire Verdiglione n. 20
“La chasse à l’Autre”
Lecture de La Conjuration des Idiots, numéro 20. Nous sommes “encore” à la partie conclusive du chapitre « Les droits de l'Autre », à page 78. Lisons : « La métaphore du cœur montre l'automate comme le temps mesurable. La métaphore du cerveau montre l'automate comme le temps épargnable ». C'est donc une lecture de ces deux métaphores par la figure de l'automate.
Dans l’acte de parole, il ne peut pas y avoir la métaphore du cœur, il ne peut pas y avoir la métaphore du cerveau, parce que le cœur en tant que temps mesurable et le cerveau en tant que temps épargnable n’ont pas de prise sur l'automate, c’est-à-dire le temps. C'est ainsi qu'élabore Armando Verdiglione. Le temps mesurable et le temps épargnable, l'épargne du pied du temps et la mesurabilité du pas du temps, ce sont à la base de chaque doctrine religieuse, de chaque doctrine militaire, de chaque doctrine d'esprit, que avant d'être d’esprit c'est une doctrine administrative. Une doctrine bureaucratique, où c'est question de la soudure entre le religieux et le militaire, obtenue par Bernard de Clairvaux avec l'institution de l'ordre des templiers. Qui étaient les templiers ? Les fils non héritiers de l'aristocratie, de la noblesse.
Un seul avait l'héritage, les autres se débrouillaient. Parfois, il y avait même beaucoup de prêtes et non seulement de militaires, soit à la ville soit à la campagne.
« Victor Hugo : le poète est le tripode de Dieu». Verdiglione fait une lecture pour ainsi dire comme figure rhétorique et de loin, donc dans la parodie : « Dieu n'a pas créé ce merveilleux alambic des idées qu'est le cerveau humain pour ne pas s'en servir ». Ensuite, le poète est le tripodes de Dieu, c'est-à-dire le tripode et l'engrenage de Dieu qui forgent le poète. Mais l'homme, là où aussi, pour le principe d'égal, vaut “chaque homme”, est poète, et chaque poète est homme, plus qu'un homme.
Alors, Serafino Gubbio : « Ma tête est ici dans la caméra, et je la tiens en main. Le naturalisme démonise la technologie ». La caméra a avalé la tête de Serafino Gubbio. Nous sommes dans la narration de Luigi Pirandello.
« L'automate est le temps inépargnable et incommensurable ». C'est ici dans La conjuration des idiots. Après donc, Le jardins de l'automate (1985), qui, pour une raison éditoriale française, a été titré comme Le jardin d'Automne, parce les lecteurs n’auraient jamais compris un Jardin de l'automate, personne.
Et donc, il est question de ce temps qui empêche que la tête de l'homme soit avalée par l'instrument, par l'outil, par la technologie. C'est pour cela que, après la phrase citée, il est question de « Ma tête est ici dans la caméra, et je la tiens en main », il y a : « Le naturalisme démonise la technologie ». C'est-à-dire que cet homme naturel, homme en tant qu'homme, il démonise la technologie.
Ici, c'est précis, comme toujours. Et donc, ce n'est néanmoins que l’homme démonise la technique, mais la technologie. Parce que la technique, elle est hors portée du démonisme et de cet « homme ».
« Et artificielle l'intelligence, comme art du faire, art du malentendu ». Voilà, ça semble qu'il y ait aujourd’hui un grand débat sur l'intelligence artificielle, et qu’il soit développé par la promotion de quelque outil informatique. Ici, c'est 1991. « Art du malentendu » : cela répond aussi au naturalisme qui démonise la technologie.
Dans quel sens ? Parce que l'intelligence, elle n'est pas naturelle, elle n’est pas forgée par la nature, et donc elle n'est pas assignée comme un paquet postal à chacun des siens, mais elle n'est pas hors du pragma, elle n'est pas hors du faire. Nous sommes là avec le faire et l'intelligence artificielle, l'intelligence comme « art du faire », « art du malentendu ». Donc, pas de cœur et pas de cerveau originaires sans le malentendu structurel dans la parole. Le cerveau n'est pas naturel non plus, il n'est pas doublé par le psychisme. Ça c'est l'hypothèse psychophysique du géomètre René Descartes.
Ce n'est pas possible de localiser le psychisme dans le cerveau naturel. L'interprétation des aphasies de Freud : il n’y a pas de localisation. Donc « Cerveau artificiel que le dispositif arbitraire ».
Les dispositifs sont les dispositifs du faire, les dispositifs pragmatiques, les dispositifs d'interlocution. Ils ne sont pas des dispositifs logiques. Donc, ce n'est pas l'intelligence artificielle une art logique du faire. Du faire, il y a la politique et ce n'est pas une logique. Elle ne procède pas par principe de non-contradiction, principe d'identité et principe du tiers exclu. Ce sont les trois principes du signe spirituel, trinitaire, logique. C'est la sémiologie, ce n'est néanmoins la sémiotique comme astérisque ou introduction à l’alinguistique. « Jusqu'à maintenant, la recherche a joué de la miette [bit], du binary digit ». C'est-à-dire, nous sommes encore dans la binarité qui sera absorbée sinon avalée par la trinité. La couple binaire, dans sa soudure, devient le signe trinitaire, le signe spirituel, le signe idéal, le signe social, le signe qui n'existe pas.
“Malentendu” c'est un mot forgé d'une façon presque impossible à situer dans la parole originaire. Avec sa racine “mal”, elle va être un adjectif de l'entente, cette mal-entente, ce mal-entendu. Il est structurel, pourquoi ? Il est formulé dans la clinique de la parole, qui est une clinique de l'écoute.
Alors, il y a qui cherche l'entente familiale, l'entente tribale, l'entente sociétaire, l'entente fraternelle, l'entente entre le père et le fils, entre la mère et la fille... Et alors, le malentendu est un théorème. Il n'y a pas cette entente : ni familiale ni tribale.
Ce n'est pas qu'on manque de quelque chose : il y a les dispositifs de vie. Les dispositifs pragmatiques, arbitraires, c'est-à-dire qu'ils ne se soumettent pas à l'arbitraire de l'idée et donc à la double pensée, épistémique et hypostatique. Il n’y a pas de surréflexion.
« Ainsi, écrit Marvin Minsky : L'esprit est simplement ce que fait le cerveau », mais cela serait le cerveau spirituel. Et le cerveau spirituel a cette caractéristique d'être trinitaire. L'idée du cerveau forge l'esprit archaïque qui est en question ici. Alors, chaque homme est ce qui fait de lui son cerveau, entre le robot et l’automate, entre la magie et l’hypnose.
Encore Minsky : « le cerveau est un composé de choses plus petites, tout à fait incapable de penser ». Pourquoi ? Parce que le cerveau spirituel, justifie la caste spirituelle des “pneumatiques”, les prélats de la pensée. Ils y auraient les prêtres avec leurs liturgiques et leurs cérémoniaux. C’est Nietzsche qui parle des hommes comme des animaux de cérémonie.
Le mystère de l’amphibologie entre les maîtres et les élèves (les esclaves ?) est mystérieux. Il y a qui naît maître, et qui naît esclave. Ainsi sont toutes les mythologies, toutes les doctrines religieuses et militaires, bonnes à couper en deux le dit “monde”.
Il y aurait l'élite qui gouverne le monde, et tous les autres (la masse) qui exécutent : les deux sont animaux de cérémonie. Mais lorsque Nietzsche se fait photographier avec l'épée à sa côté, il est en pose d'animal de cérémonie. C'est pour ça qu'il entend la question pour les autres, pour les petits spectres, pas pour le grand idole qu'il est, pas pour le Zarathoustra qu'il est.
Et il ajoute, Marvin Minsky : « Il se peut que le cerveau soit une machine de chair ». C'est très bien formulé ce fantasme, parce qu'il est soit machine soit chair. Machine de chair et chair de machine.
Il peut y avoir la machine avec dedans le corps de l'homme, comme le gros petit enfant dans l'illustration de L'Anti-Œdipe, de Deleuze et Guattari. Donc il peut y avoir la machine qui absorbe l'homme, ou l'homme qui absorbe la machine. Le bêtisier est infini potentiel, sans confines par ses confinements. Le fantasme arbitaire, c'est le confinement de chacun, et dans le même temps chaque fantasme n'a pas de confinement. Ça se mélange à tout, c'est l'infini potentiel en action, qui ne sera jamais en acte. Bien sûr : « Et donc, il se peut que le cerveau soit une machine de chair ». Dans le discours de la mort tout est possible et même impossible. Sans distinction et dans la plus grande confusion et partage (condivisione).
Mais, j'entends par là que c'est une formulation, “une machine de chair” qui demande encore beaucoup d'élaboration. Alors, Verdiglione : « la création du virus électronique représente l'Autre en négatif». Donc nous sommes déjà à la diffusion, à l’extension et à le reproduction du virus, qui effectue la conversion de la vie en mort à travers la maladie.
Même le virus, c'est une fatalité : naissent une chose et aussi la chose opposée. Personne n’est questionné par cette “chose”. C'est le droit de raisonnement suffisant et courant, idéologiquement, donc par mentalité même. Comme dans le cas de Paul Dirac, qui montrait quelque non-acceptation du système social (non acceptée par les experts qui parlaient de “psychose”), et il théorisait que s'il y a la matière, il y a aussi l'antimatière.
S'il y a Dieu, il y a le diable. S'il y a l'individualisme, il y a le collectivisme. Et ça continue à l’infini la production dichotomique des couples en opposition.
Les couples en opposition sont les couples spectrales ; les couples en apposition, jusqu'à l'attraction fatale, ce sont les couples idolâtres, mais l'alternance et l'alternative guettent soit les couples en oppositions, soit les couples en apposition, en fusion spirituelle. Et donc l'idole, parfois, c'est un spectre, et le spectre, parfois, c'est un idole. Le livre L'amour du tyran, écrit par Giancarlo Ricci, psychanalyste, qui au commencement, et pas d'un bref moment, a conduit sa formation avec Armando Verdiglione, indique l'amour du spectre. Donc, l'attraction fatale, elle est fatale, soit qu'elle soit plus-moins, soit qu'elle soit plus-plus, soit qu'elle soit moins-plus, soit qu'elle soit moins-moins. Cela correspond aux quatre zones formées par les deux axes croisés du diagramme de Descartes, l’arbre de la connaissance subjective.
L’attraction est toujours idolâtre, et elle est toujours spectrale (jusqu’à la repulsion), selon le point de vue, c'est-à-dire de l'idiotie et de l'imbécilité en matière de regard. Le regard nié, le regard spirituel, il s'appelle “point de vue”, et c'est le point du “soleil noir qui éclair le monde” (Philippe Sollers, La deuxième vie). Comme c'est aussi le point de la phallophorie et de ses animaux de cérémonie.
Qu'est-ce qu'un animal de cérémonie, sinon un participant à la phallophorie ? Il est tel quel parce que, même en sautant sous le char de la pompe sociale, il ne sera jamais élu à l'Assemblée ni à l'Académie ni au Nobel, ni n'importe où, mais il sera un träger, un porteur, avec son petit comportement, bien poli, bien lisse, même lorsqu'il se montre en révolutionnaire, comme par exemple, Guy Debord.
Drôle de Philippe Sollers : un grand défenseur de Guy Debord, un grand défenseur de Martin Heidegger (« coupable ») et un fossoyeur de son ami Armando Verdiglione (« innocent »).
Mais oui, c'est ça : il y a l'idole et le spectre, qui se partagent la socièté des sujets, sans Autre. L'Autre, c'est aussi l'autre temps. L'Autre, c'est l'Autre du symbole et de la lettre, c'est comme ça que son effet c'est le chiffre de la parole. Et donc, l'Autre négatif, c'est l'Autre en spectre. L'Autre en positif, c'est l'Autre en idole. Mais il y a aussi le présupposé sujet comme spectre et comme idole : sujet double, sujet divisé. Sujet sommaire, sujet fractionneur.
Mais c'est qui l'homme artificiel ? Il peut y avoir beaucoup de figures habillées en homme artificiel. Alors, « L'homme artificiel représente-t-il l'Autre ? » C'est une représentation impossible. Il n'y a pas de convertibilité entre choses. Ni entre un humain naturel et un humain artificiel. C’est la fabrique de doubles et de ses fabricants de dichotomies qui partagent la société en deux classes, puis en quatre et jusqu’aux hors-classe, non seulement les hors-caste indiens.
“La chasse à l'Autre”. Nous sommes ici dans La conjuration des idiots : la chasse des idiots contre l'innocence intellectuelle.
« La chasse à l'Autre se double sur la chasse à la tête, au cerveau d'autrui, au nom d'autrui.» C'est une constatation clinique. La localisation dans le cerveau d'un voyage intellectuel, apparemment, permettrait, en influencent ce cerveau, en les convertissant clairement dans un cerveau naturel, social, spirituel, de réaliser la réduction à la mort. Il suffit d’accepter son stratus comme classe sociale, et chacun s'efface de lui-même, comme substrat, c'est-à-dire hypokeimenon, hypostase, soumis, assujetti.
« Et Klaus Barbie vit pendant presque un demi-siècle avec le nom de Klaus Altman », c'est-à-dire qu’il n'est pas repérable parce qu'il se fait le double de soi-même. Celui qui se fait le double de soi-même, celui qui se partage en deux, celui qui vit sur deux niveaux, en double vie, en agent secret de soi-même, il ne risque pas d'être foutu. Bien qu'il soit été un tortionnaire, en tant qu'homme double, il a pu vivre avant d'être repéré. Quelqu'un est réussi à lire son double niveau.
À ce moment-là, il y a qui est en condition de lire les Deknamen (les mots codés) et alors l’homo duplex est repéré, il est intercepté, mais ce n'est pas ça l'élaboration de la question. Elle reste encore sans élaboration, cette chose. Nous sommes encore dans la vengeance sociale et non dans la procédure par intégration.
Ce n'est ni pro ni contre, mais ce n'est pas ça l'analyse et la lecture du nazisme de Klaus Barbie et des milliers d'autres.
On va se croiser avec un autre problème. Tel Gemelli. Gemelli était non seulement un franciscain, mais aussi le fondateur et le recteur de l'université catholique du Sacre Cœur de Milan, en 1921. Il était psychologue expérimental. Et c'est celui qui va rejeter l'enseignement de Freud. Il est antifreudien au point d'être antisémite dans son texte.
Verdiglione cite Gemelli en 1924 : « Il faut que pas même un, pas même un seul Juif ne reste, car un seul séduirait le monde entier ». Il n'y aura pas de paix pour l'âme de Agostino Gemelli. Nous sommes pas en condition de dire de laisser en paix padre Gemelli. Il reste en question, mais sans peine et sans pénitence.
Ce livre pourrait sembler qu'il a été écrit après coup, non ? Après l’affaire de la conjuration des idiots. La lecture d’Armando Verdiglione qu’il consigne dans l’élaboration de la conjuration des idiots c’est qu'il n'y a plus d'idiots. Nous allons pendant un instant à lire la conclusion de ce livre, bien qu’il y aura beaucoup de route à faire pour lire les autres pages.
Et donc, voilà “pour ne pas conclure” (la formule c’est d’Armando Verdiglione) : « Il n'y a plus de déluge. Il n'y a plus d'idiot. Il n’y a plus de conjuration».
Il n'y a plus de conjuration ? Aujourd'hui, en août 2024, il y a encore du déluge, il y a ce que Verdiglione appelle l’avalanche barbare.
Dans l’acte de parole l’avalanche n’a pas de prise. Mais dans la province, non seulement dans la province d’Italie : il y a déluge, il y a plein d'idiots. Et la trame des conjurations n'a jamais été aussi florissante.
Voilà, la prochaine lecture, ça commencera à page 81, dans le Troisième jour, L'affaire, premier paragraphe : « La ballade du cannibale ». Et ça, c'est une autre énormité. Et dans les dizaines d'années qui nous séparent de l'écriture de ces textes, un peu plus de trente, nous avons fait un certain voyage, nous avons repéré dans les journaux de Cristoforo Colombo la forge du mot cannibale, et voilà, donc, beaucoup d'autres lectures sur le cannibalisme.
Verdiglione a fait plusieurs interventions autour du cannibalisme, même les textes de ces dernières années sont fourrés d'annotations, d'élaborations, d'analyses autour du cannibalisme. Il est aussi question de l'autophagie, mais il faut tenir compte qu'autophagie, avant d'être ce qu'elle est maintenant dans la médicologie, elle se trouve même dans un journal des années quarante de madame Elena Albertini Carandini, qu’elle tenait pour sa famille, avec une richesse lexicale bien marquée. Elle emploie le mot « autophagie » pour « se dévorer », pour autocannibalisme, et en fait il y a l'autophagie et l'allophagie. Et la “phagie” de l'Autre, c'est ce qu'on appelle le cannibalisme, mais il y a aussi ceux qui se dévorent. L'ouroboros, c'est cet animal fantastique, ce serpent enroulé, qui mange sa queue. Comme ces fantasmagories n’ont pas de prise sur la parole, c’est aussi « notre affaire ».