« Pierre Barouh »
entretien avec Alain Rançon
Bonjour Monsieur Alain Rançon, comment allez-vous ?
Bonjour, très bien. Il fait froid à Paris.
Oui, même ici. Il y a du soleil, mais ce sont des journées froides. Mais quand même, il y a maintenant un peu de soleil.
Exactement. Du soleil maintenant, oui. C'est ça. L'essentiel est qu'il y en ait également dans notre vie.
Vous êtes un passeur d'art, spécialiste de musique brésilienne et de Pierre Barouh. Vous vous occupez donc de musique, cinéma, spectacles, radio, évènements. Je vous salue et je vous pose la question : « qui est Pierre Barouh ? » et surtout qui était Pierre Barouh pour vous. Nous le trouvons dans le film de Claude Lelouch qui l’a rendu célèbre: « Un homme et une femme ».
C'était un grand succès. Oui. Et Claude Lelouch est toujours suivi.
Comment dire ? Il est dans le voyage artistique pour les Italiens au cinéma. Il est une excellence.
Absolument. C'est bien lui. Tout à fait. Et je viens de le quitter à l'instant. Il a une filmographie extrêmement riche. Et c'est vrai qu'il a été connu notamment pour le film « Un homme et une femme » de 1966. Mais sa filmographie est bien plus importante, bien évidemment. Il a fait une multitude de films pour le cinéma après avoir tourné des scopitones au début de sa carrière.
Nous nous sommes rencontrés tout en regardant la petite place de la rue de Furstemberg à Paris, et on s'est mis à parler entre curieux. Et je ne savais pas avoir affaire, disons, avec ce monsieur qui s'occupe en particulier de musique, du cinéma…
Vous êtes un spécialiste de Pierre Barouh. Et la question était bien là, qu'à côté de la petite place Furstemberg, tout près de l'église de Saint-Germain, vous avez fait mettre une plaque en marbre, en hommage à Pierre Barouh. Donc nous voici à vous entendre au sujet de Pierre Barouh.
Merci à vous. Effectivement, je suis ravi de vous parler de Pierre Barouh et pour partie de son parcours, qui fut très très riche, et fut mon meilleur ami durant plus de 36 ans.
Pierre Barouh a été connu, bien évidemment, entre autres, à travers le film « Un homme et une femme » de Claude Lelouch, dans lequel il était acteur. Il fut également, dans la vraie vie, d'ailleurs, l'époux pendant trois ans d'Anouck Aimé, avant son divorce. Et Pierre Barouh a contribué à trouver les financements de ce film, car Claude Lelouch avait des difficultés pour le tournage, pour trouver des fonds.
D'ailleurs, lorsqu'on fait un flashback sur ce film, on y retrouve des passages en noir et blanc, qui ne sont pas simplement des volontés cinématographiques, mais également parce que les pellicules en noir et blanc étaient moins chères que les pellicules couleur. Donc Pierre Barouh a cherché un financement en demandant une avance aux producteurs sur ses droits et ses titres, et il a contribué, avec d'autres, à pouvoir donner naissance à ce film. C'est dans ce cadre-là qu'il a d'ailleurs présenté Francis Lai à Claude Lelouch et il l'a ensuite accompagné pour la plupart de ses musiques de film.
Alors vous abordez le sujet de la place de Furstemberg. Oui, c'est une plaque commémorative que j'ai fait poser (avec la complicité de son fils et de Dominique sa seconde compagne) en mémoire de Pierre Barouh et de Francis Lai, car Pierre Barouh, lorsqu'il était du côté de Saint-Germain-des-Prés, venait sur cette place de Furstemberg, à l'époque où il y avait des bancs, à y échanger quelques baisers. Alors, c’est un petit clin d'œil romantique de ce personnage qui a été non seulement producteur, réalisateur, acteur ( D'où viens-tu Johnny ? en 1963, et : Une fille et des fusils ), parolier, journaliste sportif, et que l'on peut évoquer à travers d'autres célébrités qu'il a mis en avant.
C'est bien à lui, disons presque, que vous devez l'intérêt pour la musique brésilienne, car Pierre Barouh fait ses voyages au Brésil et il revient avec beaucoup d'idées. Il va ouvrir une maison de musique, je n'ai pas les termes en français, et il va lui donner cette appellation pour ces productions… Absolument. Oui, vous pouvez nous parler de ce côté-là ?
Oui, évidemment.
Il est même devenu symbole Français de cette musique brésilienne. Oui, vous avez parfaitement raison d'aborder ce point crucial dans la carrière de Pierre, dans son parcours, parce qu'il fut un des plus grands passeurs de musique brésilienne en France, et d'ailleurs il y a un passage dans le film « Un homme et une femme » où il joue une interprétation d'un titre brésilien arrangé de sa main avec l'autorisation de Baden Powell et Vinicius de Moraes. Pierre Barouh a été aussi le premier producteur de Nana Vasconcelos, qui était un percussionniste de génie, qui a ensuite été notamment récupéré par les groupes de jazz fusion, jazz rock américain, je pense notamment à Weather Report.
Pierre a eu l'opportunité au Brésil de faire un tournage d'un film que l'on va retrouver, qui est aujourd'hui disponible d'ailleurs sur son propre site de production, qui porte le même nom, Saravah. Ce film fait anthologie jusqu'au Brésil, c'est le seul document filmé existant où l'on retrouve sur la plage, lorsqu'ils avaient une vingtaine d'années : Maria Bethânia, Caetano Veloso et Baden Powell. Ce film est absolument inouï, il est d'une charge émotionnelle extrêmement forte, et en fait, comme Pierre le disait lui-même, ce fût un hold-up réalisé en trois jours. Pourquoi ? On se situe à l'époque sous la dictature, en ’69 au Brésil.
Il a toujours été très compliqué de tourner au Brésil, et là en plus, sous une période de dictature, il était parti là-bas pour tourner un film, et le réalisateur, dans les difficultés, abandonne tout. Pierre se retrouve à trois jours avant de rentrer en France, et dans cette situation, se dit « je n'ai rien à perdre, je vais tourner mon premier long-métrage ». Il appelle alors ses amis Baden Powell, Maria Bethânia, Caetano Veloso, et il les filme. Et ce film donne un aperçu de ce que pouvait être à l'époque la naissance de la Bossa Nova.
Depuis, il est distribué partout en France, il a été notamment restauré. J'avais mis en relation le fils de Pierre Barouh avec un ami qui est Directeur du patrimoine au CNC. C’est ainsi que ce film a été restauré et aujourd'hui distribué sous différents formats sur le site Saravah lui-même. Il faut savoir que Saravah, c'est tout un symbole, c'est effectivement la maison de production de Pierre Barouh, c'est aussi une terminologie qui pourrait être traduite par « bénédiction », et le mot « Barouh » d'ailleurs, en hébreux, puisque Pierre était d'origine sépharade, signifie un peu la même chose également. Saravah, sa maison de production, qu'il avait montée à Montmartre après le film, « Un homme et une femme », lui a permis de produire et collaborer avec de nombreux artistes reconnus, dont : Brigitte Fontaine, Jacques Hygelin, Maurane, Nana Vasconcelos, Areski, Daniel Mille, Maurice Vander, Jean-Pierre Mas, Michel Graillier, René Urtreger, Steve Lacy. ...
C’est une très belle aventure !
Cette grande aventure, elle existe encore : il y a une suite et des lieux baptisés en sa mémoire, un lien internet, « Saravah », où on peut retrouver un ensemble d'informations concernant Pierre Barouh et sa maison de production, sur laquelle on retrouve notamment en vente également des œuvres dont il a été à l'origine. Ce label « Saravah » a eu naissance au Abesses en 1965. Aujourd'hui il est géré notamment par son fils aîné Benjamin, qui participe à sa mémoire en particulier par ce site Saravah.
Pouvons-nous juste poursuivre sur l'amitié entre Claude Lelouch et Pierre Barouh ? Comment a démarré l’histoire ?
Pierre a rencontré Lelouch grâce à Gérard Sire.
En fait, ma première rencontre avec Pierre Barouh eut lieu dans les années 1980, où je participais à l'organisation chaque année, au Cirque d'Hiver à Paris, du Carnaval brésilien, voilà, et à cette occasion, Pierre Barouh fût un des jurys de ce concours au Cirque d'Hiver, où j'ai fait aussi la rencontre de Georges Moustaki.
Donc, avec Pierre et les passions communes que nous avions, notamment pour la musique brésilienne dans toute sa richesse et sa diversité, ont fait que nous avons lié une amitié extrêmement profonde, qui s'est ensuite concrétisée par la mise en place d'événements de production et de commémoration.
Oui, et donc c'est par Pierre Barouh que vous avez connu aussi Claude Lelouch ?
Oui, justement, c'est par son intermédiaire que j'ai connu Claude Lelouch, qui continue bien évidemment à tourner, et qui vient de sortir un livre en France, qu’il vient d'ailleurs de me dédicacer. Ce livre retrace l'ensemble de sa carrière. En fait, ils ont bien travaillé ensemble, mais pour le film Un homme et une femme, Pierre était acteur et puis il a également fait d'autres événements et d'autres films, d'autres tournages, avec Claude Lelouch, comme producteur aussi, bien sûr mais également en indépendant sous son propre label.
Pierre s’est également impliqué pour le théâtre, on le sait peu, mais il a travaillé avec le Théâtre Aleph, à Ivry-sur-Seine, où il a fait naître un opéra, en composant notamment une chanson qui était la dernière chanson enregistrée par Yves Montand, qui trouvait d'ailleurs que c'était certainement la plus belle qu'il ait enregistrée durant sa vie, c'est Le cabaret de la dernière chance. D'ailleurs, Le cabaret de la dernière chance a été repris en ’95 par Pascal Brunel sur son album « Simplement ».
Ce que l'on sait aussi peu, c'est que Pierre Barouh a été également réalisateur en ’79 pour le film Le Divorcement, avec Léa Massari et Michel Piccoli.
C'est parfait, je vous remercie de toute cette information. Je n'ai pas cet aperçu de la France, même si je suis en écoute de toute cette question.
Je ne sais pas si vous savez également que Pierre Barouh a enregistré avec Dominique Royer La nuit des masques . Autre compositeur brésilien de génie : Chico Buarque de Hollande qui habite toujours Paris ( comme y habitat également Heitor Villa Lobos de 1923 à 1930) . Chico Buarque a été un des plus grands chanteurs et guitaristes au Brésil et il a dû, à cause de la dictature, fuir le Brésil .
La première fois où il a pu retourner au Brésil avec l'autorisation d'aller sur place mais sans avoir la possibilité de chanter, il est monté sur scène avec sa guitare, il a joué les trois premiers accords d’une de ses œuvres et en fait c'est tout le public, un millier de personnes devant lui, qui a chanté à sa place. Imaginez l'émotion ! .
C'est très beau, vraiment très beau. Et voilà, moi, comment dire, je passerai le temps à vous poser des questions comme à une archive.
C'est toujours un honneur pour moi et un avantage de pouvoir participer à la mémoire de mon meilleur ami qui fut non seulement un producteur exceptionnel, un homme intelligent, qui avait l'intelligence supplémentaire de ne pas se prendre au sérieux, mais qui s’est construit un parcours absolument exceptionnel.
Oui, il est né en France, et comme vous avez dit, c'était une famille juive sépharade. Il est devenu Pierre, pour se cacher pendant le temps où il y a eu les rafles en France. C'était Elie, non ? Et après qu’il soit resté Pierre, il a généré toutes ces choses remarquables.
Il s'appelait Pierre Elie Barouh. Ses parents, en le séparant de ses frères et sœurs, durant la guerre pour éviter les rafles des nazis, ont voulu protéger leurs enfants dont Pierre qui a été caché dans le bocage vendéen profond, où il a vécu son enfance. C’est cet environnement qui lui a inspiré par ailleurs des chansons telles que Des ronds dans l’eau, ou La Bicyclette.
Ce n’est pas un hasard s’il a acheté un moulin en Vendée où vit d'ailleurs actuellement son fils, à la Morvient précisément. Ce lieu a notamment été consacré par Pierre, comme studio d'enregistrement et comme accueil pour artistes. D'ailleurs le fils de Pierre Barouh, Benjamin, perpétue cet esprit d’ouverture et y accueille de nombreux artistes qui peuvent y être logés dans des ateliers leur permettant d’exercer leur art ; C’est ainsi qu’il propose dans ce lieu des chambres de hôtes et d'accueillir des talents divers sur place, au cœur de la nature.
Je vous remercie monsieur Alain Rançon, de ce très beau témoignage d'ami, un témoignage artistique, culturel. Nous devons poursuivre, c'est moi que je dois me renseigner beaucoup plus sur tout cette partie de l’histoire, que j’ai effleuré lorsque j’ai vécu à Paris.
Et si vous revenez, lorsque vous êtes de passage sur Paris, comme il m'arrive régulièrement de rendre des hommages, on partagera alors plusieurs représentations avec plaisir !
Jeudi 16 janvier 2025